(Extrait d’un article de Gilles Médioni à L’Express du 16e
Mars 2011)
La moustache, la
pipe, les polos et Les Copains d'abord... Derrière ces images qui perdurent se
cachait un homme sportif, élégant, cinéphile, amoureux des belles-lettres.
[…]Brassens est un cinéphile averti, amateur des
chefs-d'oeuvre du muet, de westerns - tout jeune, il en avait même réalisé un avec
un âne -, des polars des années 1950, des Maigret et des films avec Lino
Ventura, Jean Gabin ou Bourvil. L'esprit de Charlie Chaplin a laissé des traces
en lui; ses chansons sont des courts-métrages burlesques joués par des
personnages récurrents. « Je
dois te remercier de te servir de Chaplin dans ta comparaison », écrit-il
à son ami Roger Toussenot, « et aussi d'avoir vu quelle influence a
exercée sur moi le rythme saccadé et poétique du cinéma muet. »
Rattrapé par la
célébrité, qui l’empêche de sortir, Brassens fait venir le 7e art à
domicile. Il s'achète un projecteur 16 millimètres et montre la série
des Fantomas à ses
amis. Puis fait l’acquisition, en plusieurs exemplaires, des premiers
magnétoscopes. C'est un passionné de high-tech qui craque pour les chaînes
hi-fi, les machines à écrire IBM â boule ou les Walkman.
Jeune homme,
Brassens s'habille à la façon des grands séducteurs américains, comme Cary Grant. Puis il entre
dans sa période bohème: pantalons de velours et cols roulés synthétiques
achetés sur le catalogue Manufrance. À chacune de ses tournées, il commande
à son
tailleur, rue Daguerre, à Paris, « deux
costumes qui font déjà vieux ».
Qu'il porte avec chemise blanche et cravate noire. «Je ne
voudrais pas que l'on pensât que je suis un vieil anar qui se déguise pour
aller en scène », précise-t-il. « Alors j'aime mieux me déguiser dans
la tenue réglementaire. »
«Aujourd'hui, quand
je revois ses photos », confie Agathe Fallet, l'épouse de l'écrivain René
Fallet, grand ami de Brassens, « sa ressemblance avec Orson Welles jeune
me frappe. Une même force de la nature aux traits délicats. Mais Georges avait,
en plus, cette légère coquetterie dans l'œil ».
Un jeune professeur,
Alphonse Bonnafé, initia Georges Brassens à la littérature : « À 14 ou
15 ans, on était des brutes et on
s'est mis à aimer les poètes. Tu mesures le renversement? », confie-t-il à
son ami André Sève. L'amour des livres et des écrivains ne le quittera pas. Une
photo de Léautaud est même glissée dans son portefeuille. Brassens fait
recouvrir les livres de sa bibliothèque de couvertures de couleurs différentes
pour les reconnaître : la poésie en marron, la philosophie en noir, etc.
« Il y a chez
lui, comme chez Albert Cohen ou Jean Giono », explique Joann Sfar, « cette
idée d'une culture des belles-lettres. Brassens est un mélange de grand érudit et
de facteur Cheval. »
« Quand il
rencontre des personnes avec qui il pense s'entendre, ajoute Clémentine Deroudille,
il leur offre des livres comme des passeports pour l'amitié : Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier, Le Bachelier sans vergogne, d'Albert Marchon,
les Fables de La Fontaine. » Ètre
son ami, c'est partager son goût du verbe.
Dans le « bunker »
qu'il s'est aménagé rue Santos-Dumont, à Paris, Georges Brassens possède une
collection impressionnante de 33-tours. Sur les étagères figurent en bonne
place ceux de Charles Trénet, qui l'a influencé, d'Elvis Presley, de Johnny
Hallyday, de Claude François et du jazz qui l'a fait naître à la musique. Le
jazz lui rendra d'ailleurs le compliment : Sidney Bechet et André Revéliotty
sont les premiers à enregistrer en version jazzy Brave Margot et La Cane de Jeanne.
Brassens déteste la
musique classique et dit lui « préférer le bruit du rasoir électrique ». Sa
maison de disques, Philips, lui faisait parvenir tous les vinyles des poulains
de la variété française. C'est ainsi qu'il programme - entre autres - Yves
Simon en première partie d'un tour de chant à Bobino alors que le premier album
du chanteur n'est pas encore sorti.